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La première publicité, parue dans un journal, représentant une musicienne, date de 1834 :
Médias et musiciennes
« Ce que j’aime quand une femme joue du piano, c’est surtout la regarder … » Voilà, en substance, une réplique du film Le Cavaleur de Philippe de Broca, qui donne le profil de certaines personnes lorsqu’elles « écoutent » une interprète féminine. Comme si, l’aspect visuel primait sur l’auditif et le charme physique sur la dextérité !
De fait, aussi loin qu’il est possible de remonter dans l’histoire, en Extrême-Orient avec les geishas, dans la Grèce antique avec les hétaïres, la musicienne est très souvent associée à l’érotisme, donc elle est de mauvaise vie. En Europe, si nous mettons entre parenthèses la période des nobles trobairitz, l’art des sons, conjugué au féminin, perdurera longtemps comme lié à la sexualité ; Jean-Jacques Rousseau raconte ses déboires avec une prostituée romaine, excellente cantatrice par ailleurs.
Pourtant, à partir du XVIIe siècle, lithographies et peintures représentent des dames de la Cour jouant d’un instrument. Un nouveau symbole est né : celui de la femme de haut rang, cultivée, sachant pratiquer les Arts.
Bien plus tard, les esprits ayant évolué, autour des années 1830, une des premières publicités, parue dans un journal français, présente une femme assise à son piano : c’est une jeune bourgeoise. Dès lors, les médias – livres inclus – vont s’intéresser à cette partie de la population qui pratique le chant ou l’instrument. Parfois, les dessins humoristiques les narguent car ces demoiselles ne feraient-elles pas cette activité pour trouver amant ou mari ? Toutefois, durant tout le XIXe siècle, on ne représentera jamais une Française jouant d’un instrument à vent, en raison de l’évocation trop érotique suscitée. D’ailleurs, au Conservatoire de Musique, ces classes sont interdites aux étudiantes, sauf celle de flûte traversière. À cette époque, les partitions éditées, composées par des créatrices (ou destinées spécifiquement au sexe féminin) abondent de plus en plus, en particulier les romances, incluses, parfois, dans des revues de presse spécialisée. La carrière des divas commence à intéresser le grand public.
Comment le XXe siècle va-t-il considérer les femmes pratiquant la musique ? Au début, les journaux nous montrent des photographies de compositrices et d’interprètes féminines, mais, pour le violoncelle, par exemple, il est conseillé de placer l’instrument plutôt de côté, et non dans la position entre les jambes, jugée indécente. Quant aux orchestres, si quelques harpistes et violonistes apparaissent, ne nous y trompons pas, leur présence est toujours contestée, non seulement pour des raisons d’éventuelles différences de sonorité, mais pour des motifs d’ordre visuel : ces éléments féminins, au milieu d’hommes, risquent de nuire à l’impression d’homogénéité pour les spectateurs, dit-on. En revanche, par paradoxe, l’Académie française admet, en 1904, la dénomination « compositrice », tant les créatrices sont nombreuses, l’une d’elles accède au Premier Grand Prix de Rome. Entre 1950 et 1980 les concerts, en particulier radiophoniques, comportent, très souvent, des partitions dues à des femmes. La publicité - sous forme d’encart, de feuille volante, de pochettes de disques - évolue vers cette reconnaissance de la femme pratiquant l’art. Ce sera la superbe photographie de la violoniste Ginette Neveu jouant, ou même la Caisse d’Epargne qui montrera toute une famille formant un petit orchestre dans un intérieur cossu et harmonieux, signe de bonheur.
La télévision nommera alors une Eve Ruggieri pour promouvoir les interprètes. Très récemment, la publicité filmée a inclus une chef d’orchestre commandant des hommes, comme si cette image était banale ! Curieusement, par un retour au point de départ, il n’est pas rare de découvrir la musique au féminin revenue à la sexualité. Que penser du film la Pianiste ou du charme d’un parfum associé à une femme caressant les touches du clavier, avec des ongles si longs qu’il lui serait impossible de jouer un morceau ? Et que penser de la représentation d’une jeune violoniste classique actuelle, photographiée, pour assurer sa promotion, son instrument « phalléiforme », la caisse entre ses jambes, tenant, au-dessus, entre ses mains délicates, le manche ?…
Sexisme
Quelques citations :
- A partir de 1971 – début de mes découvertes – jusqu’à l’an 2000, donc en trente ans, la situation a été bouleversées pour les femmes ;sur un plan général, dans les domaines de la culture, des médias, de la presse féminine, les ouvrages les concernant se multiplient, mais, sur le plan musical, personne ne semble se soucier de l’évolution, voire de la révolution qui est en marche à leur sujet. (M.J. Vilcosqui, La Femme dans la musique française, p. 18, Editions du Panthéon. 2001.)
- L’art musical féminin ne compte encore, et ne comptera probablement jamais ni un Bach, ni un Beethoven, ni un Wagner : il doit cependant lui suffire, pour ne pas être tout à fait dédaigné, d’avoir, comme la peinture ses Vigée-Lebrun et ses Rosa Bonheur. (Marie Bobillier dite Michel Brenet, Quatre femmes musiciennes, p. 107 dans l’Art. 1894.)
- Le génie féminin ne ressemblera pas à un génie d’homme, nous écrivons et nous créons de façon différente (…) Il n’y aura donc jamais de Beethoven au féminin.(Déclaration de Betsy Jolas, émission La clé du jour, France Musique, 7 novembre 1996.)
- L’égalité de droits n’implique pas une égalité de nature. Hommes et femmes demeurent des êtres différents (…) A s’en tenir à une volonté d’identité, les femmes se priveraient des aménagements privilégiés qu’elles réclament précisément au nom d’une différence originelle qui ne peut être abolie, qui doit être protégée. (Propos de Louise Weiss recueillis par Christine Garnier dans A Chances égales. 1971.)
- On a beaucoup parlé de l’avenir, l’avenir de la femme pour la réforme de l’humanité ; je me trouverais encore content si sa mission, pour continuer à parler le langage du jour, se bornait à ramener l’autre moitié du genre humain à la bonne musique, au bon goût, et peut-être au bon sens. (Revue et Gazette Musicale, 6 avril 1851, p. 109).
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