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Compositrices contemporaines

 BRENET Thérèse

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Issue d’une longue lignée de musiciennes remontant au début du 19e siècle, Thérèse Brenet, née en 1935, était, dès l’âge de sept ans, capable d’accompagner au piano, sa mère lorsqu’elle chantait en public ! Dès cette époque, elle aimait improviser sur l’instrument à clavier et envisageait de devenir compositrice.

Après des études de piano, entre autres avec Marguerite Long, elle entre, en 1954, au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et y suivra les classes des prestigieux professeurs Jean Rivier, Darius Milhaud, Maurice Duruflé, Henri Dutilleux et Noël Gallon. Si elle reconnaît les qualités méconnues mais incontestables de l’œuvre de Maurice Duruflé ainsi que la remarquable pédagogie de Noël Gallon en contrepoint et fugue, ses regards se tournent surtout vers Darius Milhaud, puis Jean Rivier, qui lui apprirent en composition à oublier la rigueur excessive des classes d’écriture pour « ouvrir les fenêtres sur l’inconnu et sur le monde moderne » afin de trouver sa propre personnalité stylistique.

De cette époque date, entre autres, La Nuit de Maldoror dont le texte est tiré des Chants de Maldoror de Lautréamont. Cette œuvre a connu plusieurs versions instrumentales manuscrites, elle est en cours d’édition sous sa forme définitive pour soprano, violoncelle et piano. La partition en trois mouvements « lent, mystérieux fantastique », « allegro » et « très intense » commente le texte littéraire, mais tient compte de la prosodie tantôt chantée, tantôt récitée. Le langage, à tendance chromatique, frôle l’atonalité par ses agrégats pianistiques. Tous ces choix montrent déjà une forte personnalité.

Titulaire des premiers d’harmonie, de contrepoint, de fugue, Thérèse Brenet, poussée par Milhaud, se présente aux concours préliminaires du Grand Prix de Rome ; grâce à l’enseignement de Noël Gallon, elle réussit les trois rigoureuses fugues d’école. La dernière, celle de 1965, audacieuse, comporte deux sujets et deux contre-sujets ; « un certain souffle » lui est reconnu. En 1963, un premier essai pour la suprême récompense se solde par un Second Grand Prix pour sa cantate Hommes sur la terre, sur un texte de Robert Desnos. L’orchestre est rehaussé d’une imposante percussion. À l’humour parfois bachique du texte chanté, répond un commentaire instrumental anecdotique humoristique, preuve de l’adéquation de la compositrice à l’esprit de l’auteur. Un an plus tard, nouvelle déception avec Les Rois mages, sur un poème d’André Frénaud.

L’année 1965, non seulement elle décroche les suprêmes récompenses d’orchestration et de composition (première nommée à l’unanimité), mais elle y ajoute le Premier Grand Prix de Rome. Ses Visions prophétiques de Cassandre pour soprano, baryton et orchestre, sur un texte de Brasillach d’après l’œuvre d’Eschyle, comprennent deux batteries de percussion. Si l’écriture reste tonale, le chromatisme y est présent.

Avant de partir pour la capitale italienne, elle parvient à terminer, faire éditer et enregistrer le 9 décembre 1966, Clamavit, sa première grande œuvre personnelle, issue d’une commande de l’ORTF (organisme officiel de la radio). Il s’impose de s’attarder sur cette cantate nécessitant un chœur, une voix de soprano et un récitant, accompagnés par un grand orchestre. Le thème, emprunté à la Bible, Livre de Job, surprend. Une jeune compositrice, en pleine période de bonheur de par ses réussites, choisit de commenter une souffrance humaine à l’image de la souffrance du monde ! « Job personnifie la douleur de toute l’humanité, celle de chacun de nous, celle que nous portons tous, plus ou moins secrètement au fond de notre être et, en somme, celle de l’humanité toute entière à travers les âges », écrit-elle. Comment mettre en relief la clameur des paroles de Job aux images atroces, surréalistes ?
Mes chairs étant consumées,
Mes os se sont collés à ma peau,
Et il ne me reste que les lèvres autour des dents.
Ayez pitié, Ayez pitié de moi, vous du moins, mes amis,
Car la main du Seigneur m’a frappé.
Pourquoi me persécutez-vous comme Dieu me persécute
Et vous rassasiez-vous de ma chair ?

Comment ensuite trouver une transition pour la conclusion parce que la confiance en Dieu de Job ne faiblit pas ?
Je sais que mon Rédempteur est vivant
Je sais que je ressusciterai de la terre au dernier jour
Je sais que, dans ma chair, je verrai mon Dieu.

Thérèse Brenet avoue n’avoir pas hésité à remanier le texte littéraire pour trouver sa cohérence musicale : elle durcit, condense, souligne les contrastes pour arriver au cri (d’où le titre extrait du premier verset du Psaume De profundis ad te clamavi Domine) et faire un contraste saisissant à la fin. Sur le plan musical, grande variété des formules car le chœur répond en écho aux paroles du récitant, amplifiant ainsi l’aspect dramatique ; ailleurs, le groupe vocal - qui chante ou déclame - se mêle à l’orchestre, à d’autres moments l’ensemble vocal ou la récitante intervient sur des vocalises de la soliste, pour intensifier l’émotion. Même but dans le frappement régulier, inquiétant, du début de l’œuvre, repris dans la dernière partie avant d’aboutir à une lumineuse conclusion : « Mais, encore une fois, fidèle à l’esprit du texte biblique, j’avais voulu aussi que l’œuvre se terminât sur un élan d’espoir. Job lance vers Dieu un acte de foi, qui le conduit, peu à peu vers une sorte d’extase. Ses dernières paroles, murmurées, s’inscrivent sur une matière sonore extrêmement riche, faite d’une succession d’accords de douze sons, couvrant la quasi-totalité de l’échelle musicale et s’ouvrant en éventail. ElleS traduisent une indéfectible espérance. » Le succès mondial de cette partition exceptionnelle, sélectionnée pour représenter la France à la Tribune des Compositeurs de l’UNESCO, contraste avec l’absence de toute diffusion en France depuis sa création en 1967.

Un an après, la brillante lauréate, dans le cadre enchanteur de la Villa Médicis, découvre les splendeurs de l’art italien. Une fois de plus, dans ces conditions idylliques, son choix du sujet d’une nouvelle production importante, étonne. En effet, Thérèse Brenet, décide d’illustrer musicalement à la fois les fresques d’un peintre du 16e siècle, Signorelli, découvertes au cours d’une visite de la cathédrale d’Orvieto, et y mêle un poème de Pierre-Jean Jouve sur le même sujet : la Résurrection des Morts ! « J’ai voulu unir deux œuvres géniales abordant le même sujet à quelques siècles d’intervalle » ; cet amalgame d’un texte littéraire et d’un élément visuel, va donner naissance à une sorte de cantate d’une facture remarquable qui lui vaudra les compliments mérités du poète. L’ Hommage à Signorelli nécessite une soprano, un piano, des ondes Martenot et deux percussions, un ensemble insolite, palette très personnelle. Dès l’abord, les pulsations du piano dans le grave, reprises par les percussions, sonnent l’heure irréelle d’un monde mystique angoissant que la soprano va décrire dans son chant monocorde aigu : « Je vois Les morts ressortant des ombres de leurs ombres Renaissant de leur matière furieuse et noire. » L’opposition entre l’évocation sobre et statique de la chanteuse et le cataclysme sonore allant crescendo correspond bien à une impression à la fois unique, étrange, chaotique. Comme pour laisser l’auditeur méditer, comme pour le laisser visualiser l’effroyable peinture, la compositrice décide, dans la deuxième partie, de ne pas faire intervenir la voix, afin de provoquer une impression d’étouffement. Après ce commentaire orchestral, le dernier volet de ce triptyque reprend un autre extrait du texte littéraire s’attardant – comme dans le tableau de Signorelli – sur la vision des corps qui surgissent du sol comme enfantés et purifiés par la Terre ; la musique par sa double ascension, du grave vers l’aigu, du faible au fort, traduit à merveille l’espérance de ce passage de la mort à la vie « Qu’ils naissent ! Comme ils sont forts, des chairs arméEs ! » Là encore, aucune rediffusion de cet enregistrement, commandé par la Biennale de Paris, après la création mondiale radiophonique, sur France Culture, le 9 décembre 1967.
Ces deux productions sublimes, ce diptyque, Clamavit et Hommage à Signorelli, dont la musicienne reconnaît une parenté de pensée « C’est aussi l’homme que vous retrouverez à travers toute sa souffrance », méritent de sortir de l’oubli car uniques dans la production française.

À l’issue de son séjour à la Villa Médicis, la compositrice effectue plusieurs voyages d’étude à l’étranger, notamment en Pologne, et, à son retour à Paris, en 1970, elle est nommée professeur au Conservatoire national supérieur de musique, classe abandonnée en 2000. Certes, sa vie professionnelle lui donne l’occasion d’écrire des œuvres pédagogiques ou pour les concours, mais, elle se consacre surtout à des compositions personnelles.

Plusieurs distinctions avaient, jusque-là, émaillé sa carrière : Prix Halfen de fugue et de composition, lauréate de la Fondation Coplay de Chicago, membre d’honneur de l’Académie nationale d’histoire de Reims, elle y ajoutera, en 1971, le prix Stéphane Chapelier – Clergue – Gabriel Marie, accordé par la SACEM, puis obtiendra la Médaille d’argent de la Ville de Paris (1973) et, plus tard (1988), sera récompensée, pour Vision flamboyante, par le jury musical des Droits de la femme.

Ici, il faut placer une œuvre de transition Six Pièces brèves pour orchestre (1968) car si le chromatisme domine, déjà on la voit ajouter deux tams-tams et, surtout, de brusques grands changements d’intensité et changements de tempo, le « extrêmement lent » succédant à un « très rapide et violent » ; nouvelles marques de sa créativité.

Au fil du temps ses intérêts varient et, comme une laborantine, Thérèse Brenet s’essaie à différentes expériences musicales. Ici, elle met en valeur un instrument, là, elle invente des échelles de sons, utilise les micro-intervalles ou l’atonalité et ne craint pas de demander des accords de douze sons, voire des clusters. Elle se plaît à reprendre les idées de polonais contemporains comme Penderecki ou Lutoslawski. De ce dernier, elle reprend la démarche de l’ « aléatoire contrôlé » alliage de liberté et de rigueur pour l’interprète. Il est difficile de parler d’une évolution stylistique régulière mais, plutôt d’une recherche permanente. Toutefois, une idée directrice semble sous-tendre son inspiration. La base de la pensée musicale s’appuie sur la littérature, l’histoire, le monde gréco-romain, la mythologie ou le cosmos, preuve de la grande culture générale et de l’éclectisme de la compositrice qui, de ce fait, nous conduit à des sortes de poèmes symphoniques (sujets souvent à réflexion) pour diverses formations.

Sans avoir la prétention d’énumérer toute son importante production, il importe d’en parcourir une bonne partie car, malgré les nombreuses pages éditées, peu d’entre elles peuvent être entendues à l’heure actuelle. L’œuvre de Thérèse Brenet ne pouvant être rangée dans une classification traditionnelle, il s’impose de faire ressortir les grandes lignes directrices sur le plan musical.

L’une des constantes particulières à la compositrice, semble être la propension à écrire pour des instruments peu utilisés, par ses confrères comme la harpe celtique ou la mandoline, suite à sa rencontre de deux éminents musiciens, Denise Mégevand puis Christian Schneider.

La harpe celtique, aux possibilités très limitées - en raison du peu de cordes et de l’absence de pédales - par rapport à la grande harpe habituelle, la harpe celtique serait restée, sans Thérèse Brenet, un objet du folklore breton. Certes, la première œuvre écrite pour cet instrument avec hautbois ou flûte, Accordance, a été entendue sur « France-Musique en Bretagne, émission du 28 août 1982 », mais l’auteur se défend de références régionalistes. D’ailleurs, à la demande de Denise Mégevand, la même année une Suite fantasque, composée de six pièces, voit le jour, montrant bien les orientations de l’auteur. D’une part, l’œuvre est basée sur quelques paroles du Clair de lune de Paul Verlaine, donc alliance de la littérature et musique dans une œuvre instrumentale, et chaque partie est un commentaire d’une phrase du texte. La partition indique pour le début : « … et quasi tristes », puis « … sous un déguisement fantasque » ensuite « Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur … » D’autre part, il est mentionné « Approche de la graphie contemporaine » d’où une page d’explications à l’interprète pour les signes qu’il rencontrera dans la partition, ainsi une flèche pointée vers le bas signifie « Pincer la corde et glisser immédiatement le long de celle-ci avec la batte du triangle. » Par ailleurs, l’instrumentiste se trouvera un moment devant trois cellules de quelques notes, avec libre permutation pendant 10 secondes, puis une autre, avec libre permutation de notes ! Inutile de dire que cette pièce n’a rien de traditionaliste. Même constat, toujours en cette année 1982, d’une mandoline associée à la harpe celtique dans Cristaux. En 1984, France-Musique diffusera Vibrations avec Denise Mégevand accompagnée par l’orchestre de Toulouse. Véritable concerto avec des solos, on y entend des tapis sonores et ondulations semblables à Thrène de Penderecki, avec aussi des passages angoissants, ce qui n’est pas le moindre paradoxe pour un instrument aussi scintillant que la harpe celtique. Il faut s’attarder sur Madrepore une très courte pièce pédagogique pour le « degré préparatoire » car l’auteur propose à l’élève une formule peu banale dans ce genre de partitions. Seize séquences, entourées une, deux ou trois fois selon le nombre d’exécution à faire, laissant l’interprète quasiment libre d’en choisir le parcours, «œuvre mouvante et protéiforme » où chaque cellule notée avec précision, comprend des indications d’interprétation. Notons, pour finir, les curieux mariages d’instruments ainsi dans Le Fascinateur la harpe celtique, avec une percussion, accompagne le récitant , dans un texte de Jean-Pierre Luminet, et, à noter plusieurs partitions pour harpe celtique, mandoline et guitare en particulier l’année 1997, Ophiucus II, Caprice d’une chatte anglaise II, Des grains de sable d’or aux mains II. Il existe aussi un concerto pour mandoline et orchestre à cordes intitulé Chimères (1993). Partir de frêles instruments populaires pour leur imposer une écriture moderne – la harpe sera réaccordée – et leur faire acquérir des lettres de noblesse, voici une belle manière de sortir des sentiers battus.

L’emploi du saxophone, fait aussi partie, à un moindre degré, de ce soucis d’innover. Tétrapyle pour quatuor de saxophone et piano (1978) a été écrit à la demande de Daniel Deffayet, suite à une commande du Ministère des affaires culturelles. Un tétrapyle étant un Arc de triomphe de la Grèce antique au point de jonction de quatre routes, l’auteur découpe son œuvre en quatre mouvements eux-mêmes divisés en quatre parties. La partition se veut moderne avec de successions d’intervalles de seconde, quarte augmentée, neuvième mineure et l’accompagnateur effectue des clusters de la paume de la main, du poing, de l’avant-bras. Certains passages sont laissés au libre arbitre des musiciens. Autre particularité, les variations brusques des intensités, d’où la violence de ces contrastes extrêmes.

Cette dernière caractéristique se retrouve dans Calligramme (1981) pour saxophone seul (alto et soprano successifs) en quatre mouvements d’une durée totale de seize minutes. Dès le début, les annotations de la partition « sauvage » avec des notes suraiguës stridentes, « comme des rugissements » provoqués par des sons multiples, de nouveaux passages resserrés et imprévisibles aux extrêmes de la puissance sonore, nous conduisent dans un monde hyper agressif. Sur le plan technique, le quart de ton, le « bisbigliando » normal ou en accélérant, le double trille, le « flatterzungue » et l’absence de tout travail thématique montrent le nouveau monde de la compositrice. Après ces onze minutes d’agressivité, la courte partition de Phoinix (1986) pour saxophone seul, offre une autre nouveauté par ses 22 séquences à exécuter presque selon le libre arbitre du musicien ; ainsi, « cette pièce est une œuvre mouvante et protéiforme qui révèlera différentes facettes à chaque exécution sans rien perdre de son identité quel que soit le parcours choisi », explique la compositrice. Enfin, Gémeaux I et II, deux quatuors de saxophones ou double quatuor par superposition, comme l’avait fait Darius Milhaud pour les cordes, mais ici parcourus par une succession de séquences aléatoires qui « constituent une étude des contrastes et de la progression dans les nuances, les accélérés et ralentis. » Une nouvelle fois, la recherche aboutit une solution inédite.

Plus rare encore dans l’histoire de la musique, le quatuor de tubas rassemblés dans Thrène (1983) … et le quatuor de percussion de Ce que pensent les Etoiles (1980) inspiré par un poème !

Les poètes, justement, stimulent souvent l’imagination de Thérèse Brenet. Parfois le texte initial est absent de l’œuvre, d’autres fois il est chanté ou lu, enfin, de temps à autre, sa lecture est facultative. Souvent le sujet à un rapport avec l’univers stellaire. Sidérales cinq pièces d’orchestre, inspiré d’un texte de Lucrèce « Lorsque, levant la tête, nous contemplons les espaces célestes de ce vaste monde … » ou Lyre d’Etoiles (1979) nocturne pour trio à cordes issu d’Amérique d’André Chénier, illustrent cette orientation. L’enchevêtrement si complexe et fantastique des astres, la notion d’éternité, deviendront une source de méditation de la compositrice. Mais ses sujets de méditation et les auteurs varient, montrant la diversité de la culture de la musicienne. Ici Sept poèmes chinois (1966) d’après Franz Toussaint, là Aube morte (1966) d’après les Chants de Maldoror de Lautréamont, ou Les Mains (1970) pour 12 voix et 12 instruments d’après Michèle Saint-Lô, donnent une idée de la variété de la littérature mise en œuvre. Ce besoin d’un appui du verbe va jusqu’à imaginer un titre curieux : Concerto pour un poème inconnu (1966) pour piano et orchestre ! En revanche, également pour piano, Océanides (1986) étude originale destinée à la main gauche, porte en épigraphe « le sourire innombrable des vagues marines » d’Eschyle, et Tout l’or des nuits, pour piano, à son titre repris dans Alcools de Guillaume Apollinaire. Ce dernier morceau, figure dans un recueil comprenant un disque compact avec l’exécution des œuvres, Sept Pièces contemporaines pour piano, volume 2, coll. H. Lemoine, 2002.

La conclusion naturelle de ce rapide panorama, provient d’un ensemble d’événements récents. La réédition d’un disque commercialisé, intitulé Odi et Amo, par les éditions De plein vent ; les quatre œuvres proposées sont d’une facture récente, entre 1990 et 1995 ; toutes font intervenir, en soliste, des instruments à cordes traditionnels de l’orchestre, le violon, l’alto et le violoncelle. Prémices de ces pages, Vision flamboyante (1987) pour violon et piano, avait été primée. Mais comment la compositrice va-t-elle concilier ses dernières conceptions esthétiques avec ces sonorités mêlées à un orchestre ? Nouvelle gageure.

Dans l’ordre des publications, 1991, correspond a Aeterno certamine pour alto, violoncelle et orchestre avec percussions. En plus de la lecture d’un ouvrage du poète latin Lucrèce, ouvrage anxieux axé sur « la lutte, l’agitation éternelle des atomes », la compositrice s’initie à l’astrophysique contemporaine dont une phrase retient son attention, la comparaison des grains de lumière fossiles avec les notes de musiques éparses d’où cet « hymne à l’univers, à ses beautés, à ses mystères. » ; par épisodes, la musique traduira les diverses dynamiques de l’espace interstellaire. La paisible introduction orchestrale, avec des interventions espacées des solistes, mène l’auditeur dans les halos des « musiques éphémères des étoiles naissantes et agonisantes » matérialisées par des micro-intervalles. La suite nous conduit à un climat dramatique, violent et dur, au sommet de l’ambitus de l’alto et du violoncelle, soutenus par l’orchestre. Après un nouvel épisode calme, où se superposent puis alternent deux motifs qui opposent solistes et masse, suit un paroxysme sonore, séquence aléatoire d’une grande violence, illustration d’un « maelström cosmique », selon l’expression de l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, pris ici en référence. L’orchestre s’éloigne par plages, selon le principe de « séquences aléatoires à géométrie variable », en guise de conclusion.

Odi et amo, suite concertante en trois mouvements, pour violon et orchestre (1992) s’appuie sur un texte de Catulle. Dégagées par ces mots du poète latin « je hais et j’aime », les forces qui s’opposent concernent la tendresse et la violence Là encore, alternance de brusques et extrêmes intensités.

Poème pour violon et orchestre (1994) n’est basé sur aucun texte littéraire et n’est pas un concerto, quoique divisé en trois parties. L’idée générale est « une lente progression systématique, partant de la douceur tranquille initiale pour aller jusqu’à la violence et l’intensité dramatique poussée au paroxysme. » La fin, adossée au livre de G. Bachelard, Psychanalyse du Feu, exprime « l’amour, la mort et le feu unis dans un même instant. »

La pièce la plus récente (1995) Le Retour du Quetzalcoatl est un poème symphonique, en quatre parties, pour violoncelle et orchestre, commande de Dominique Fanal. Le mouvement initial s’attarde sur le site mexicain de Teotihuacan, théâtre d’une tragédie historico-mythologique, au 16e siècle, due à la rencontre d’une vieille civilisation avec son dieu « Serpent à plumes » et l’arrivée de Cortèz. Pour inviter à la rêverie cosmique suscitée par le lieu, l’alternance du soliste et de l’orchestre aboutit au suraigu ; puis, l’orgie sonore « paroxysme angoissant » correspond aux derniers sacrifices humains mais suggère aussi l’instabilité de l’univers, d’où un refus de conclure musicalement ce passage. De « L’arrivée triomphale de Cortèz » naît l'appréhension du peuple quant à son avenir due à « deux quiproquos tragiques qui se superposent » ; après une marche triomphale, la partie centrale de ce mouvement - qui ne comprend pas le violoncelle - aux impétueux élans lyriques, va succéder l’espérance et l’angoisse interrogatives. Enfin, l’empereur décide d’offrir à Cortèz la parure de plumes, insigne très symbolique de la divinité « c’est alors que commence un long mouvement ascensionnel, dans un tournoiement cosmique rythmé vers la fin par une intense pulsation. L’ambiguïté et l’inquiétude persistent inéluctablement jusqu’à la fin de l’œuvre. »

Cette phrase finale de Thérèse Brenet synthétise bien sa propre pensée. D’un abord souriant et amène, la compositrice paraît cacher une hypersensibilité et masquer une profonde inquiétude (et un espoir ?) dans le devenir de l’homme, traduit dès ses premières grandes œuvres, inquiétude élargie à l’humanité et au cosmos dans ses dernières partitions. L’auditeur sera constamment déstabilisé et interrogé par la recherche perpétuelle dans le choix des instruments inusités, des échelles de sons personnelles, des chromatismes, des quarts de tons, l’atonalité, des séquences aléatoires, mais aussi par l’absence de répétitions des phrases, de développements, le refus de conclure certaines œuvres, et des textes littéraires variés souvent philosophiques amenant à la réflexion. Les nombreuses explications écrites par la musicienne, dans et hors des partitions, lancent comme un cri de terreur quant à l’avenir – d’où les brusques segmentations du discours musical avec des nuances extrêmes surprenantes, des montées déchirantes dans l’ultime aigu – terreur symbolisée, dans les pages imprimées, par le grand nombre d’emploie du terme « violent » ou encore ces indications spécifiques d’expression comme « impression d’étouffement », « haletant », « hurlé », « paroxysme », « orgie sonore », « maëlstrom cosmique », « angoisse mystique » …

Ainsi il existe des constantes qui personnalisent l’œuvre de la compositrice Thérèse Brenet.

Œuvres enregistrées : Pages concertantes pour violon, alto, violoncelle comprenant Odi et amo, Le Retour de Quetzalcoatl, Poème pour violon et orchestre, Aeterno certamine (CD FA 9501, Editions De plein vent – Frémaux et Associés, dist. Night & Day.

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 CLOSTRE Adrienne

Thomery, Seine-et-Marne 1921 - Serrières, Ardèche 2006

« Le Premier Grand Prix de Rome de Musique est attribué à mademoiselle Adrienne Clostre. » À cette annonce, en 1949, on imagine la réaction de la septième femme ainsi diplômée. Elle avait fait ses études au Conservatoire National Supérieur de Paris avec pour maîtres, Yves Nat en piano, Noël et Jean Gallon pour ce qui concerne l’écriture, Darius Milhaud puis Jean Rivier en composition, enfin Olivier Messiaen pour l’analyse et esthétique. Avant sa suprême récompense, elle avait déjà joué, en public, sa Rhapsodie pour piano. Par la suite, les pages se sont accumulées d’autant plus qu’elle s’est, avant tout, consacrée à son art. Il est possible d’affirmer que par le nombre de publications, les multiples manifestations et les divers enregistrements qui nous sont parvenus, elle a été l’une des compositrices les plus reconnues de son époque, s’y ajoutent les participations à différents Festivals, plusieurs commandes de partitions, ainsi que les Prix de la Ville de Paris (1955), Florence Gould (1976), enfin de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (1987).

L’analyse de son manuscrit qui lui valu d’être admise à la Villa Médicis, La Résurrection de Lazare, une cantate, donne un aperçu de tout son parcours musical. Ce parcours commence dès son enfance, car, très tôt, ses parents lui avaient fait découvrir l’art théâtral au travers de lectures, de spectacles qui devaient la marquer - dont une pièce de Molière - et surtout du mélange littérature-musique dans Boris Godounov de Moussorgski. Cela va la conduire à échafauder sa pensée autour des œuvres lyriques. Ne sachant pas encore écrire la musique, raconte-t-elle, son imagination lui avait permis, néanmoins, de concevoir l’ouverture d’un opéra qui, joué par elle au piano, avait été retranscrit, sur des portées, par son professeur ! Bien plus tard, influencée par l’âme slave, elle projetait une partition dramatique d’après Crime et châtiment de Dostoïevski, en particulier le passage où le malfaiteur lit la vie de Lazare. Coïncidence, pour le concours de Rome, le texte proposé d’Alphonse Bourgoin, était basé sur ce personnage biblique. L’action se situe au lendemain du décès de ce dernier, les deux sœurs Marthe et Marie sont prostrées dans la maison du défunt. L’ouverture instrumentale se veut atonale, avec des rythmes opposés superposés ; l’orchestre se tait pour laisser place à la détresse de Marthe. C’est là le point fondamental du style de Clostre : donner toute la lisibilité au texte littéraire, le plus souvent déclamé dans le médium de la voix afin d’être compréhensible, sans surcharge de l’instrumentation. Autre élément primordial pour elle, la musique illustre davantage la psychologie des personnages et la philosophie sous-tendue que le texte lui-même. Ainsi, l’important, dès cette partition lyrique, réside dans le contraste entre Marthe qui clame sa douleur « molto pui vivo », Marie plus sereine « moderato, con dolore » et Jésus qui les a rejoint, réconfortant, « andante ma non troppo ». Celui-ci, sera accompagné, dans ses larmes, par une clarinette avec une gamme ascendante et non descendante comme le voudrait la tradition et la logique. Une singularité à souligner également : un cortège funèbre orchestral, à trois temps, va aboutir à un triple forte avec un tutti comportant, outre les instruments habituels, une large part faite aux percussions (célesta, xylophone, tam-tam…), elles seront souvent employées dans ses autres œuvres. Dans les principes distinctifs compositionnels, une particularité évidente apparaît déjà. La polyphonie ne fait pas véritablement partie du langage d’Adrienne Clostre, aussi sa fugue conclusive se borne-t-elle à un bref fugato entre les deux femmes, sur un choral en valeurs longues, chanté par Jésus. En revanche, comme elle le montrera par la suite, de grandes louanges lui reviennent pour ses orchestrations et chœurs verticaux, tels ceux du final de Julien l’Apostat ou encore dans ses saisissantes marches funèbres.

L’ensemble de la production examiné dans l’ordre chronologique n’apporte pas un élément déterminant quant à la compréhension des chemins empruntés par la compositrice, car trois ou quatre partitions tout à fait différentes ont pu être écrites la même année. Mais quel autre système de rangement faut-il employer pour être explicatif et cohérent devant la diversité et surtout la multiplicité des créations qui paraissent, au premier abord, difficilement classables en raison de l’originalité de leur conception ? De surcroît, la compositrice a exposé, à plusieurs reprises, que, chez elle, les instruments sont traités comme des personnages, ils racontent une histoire, donc, pour elle, pas de fossé entre instrumental et vocal. Sur le plan stylistique, elle a opté pour la musique dodécaphonique, puis sérielle, enfin atonale, mais les transitions n’apparaissent pas de manière flagrante. Abstraction faite de ces propos liminaires, après examen de ses ouvrages, il se dégage néanmoins des grandes formes directrices : les œuvres pour les instruments, celles pour les voix qui peuvent porter des intitulés divers (opéras, lecture musicale…), les pages religieuses, des créations à but pédagogique, enfin des partitions ayant trait à la vie quotidienne. Cette classification, un peu arbitraire, n’est pas rigide - la même œuvre peut toucher deux ou trois domaines - mais permet d’appréhender, d’analyser, de déterminer, les divers axes abordés et leurs aboutissements.

LES ŒUVRES INTRUMENTALES

Le piano a été le premier instrument mis en valeur par la musicienne. Après sa puissante, dynamique Rhapsodie si brillante que l’interprète-compositrice reconnaît l’avoir conçue plutôt pour une main d’homme, le titre de Vocalise (1980) donne bien la preuve irréfutable du mélange intentionnel des genres. De fait, la mélodie sérielle, presque sans accompagnement, traduit l’intention de donner à l’instrument un rôle monodique, inusuel. La rythmique de ce morceau se veut tantôt rigide, tantôt libre, dans le style d’une improvisation ; une singularité souvent retenue dans ses pages ultérieures. La partition s’intègre à un recueil collectif comportant des pièces de difficultés progressives. Ce caractère pédagogique se retrouve dans l’Histoire de Galmich dont il sera question dans un autre chapitre. Toujours pour piano, Variations italiennes par son titre pose problème. Sommes-nous vraiment dans la variation ? Et qui imaginerait une introduction, nommée Serenata, dans un tempo « allegro con furia » ? Si l’on y discerne d’abord un accompagnement de mandoline, ensuite la quasi-improvisation cède le pas à une « descente en vrille » puis un « mouvement de toupie », le tout entrecoupé d’un passage « très romantique » … au total, une sérénade pour le moins agitée ! Le Notturno, qui suit, comprend des imitations de « Chutes de pierre » ; la Tarentelle exige l’emploi de clusters effectués avec l’avant bras ou les poings. Deux hommages seront rendus dans le final intitulé « Il Mazzolin di fiori » : le premier à madame Mégevand laquelle jouait de la harpe celtique, sonorité paradoxalement demandée au pianiste dans cette évocation transalpine, le second, « Chants d’oiseaux », rappelle les leçons d’Olivier Messiaen. La partition s’achève dans un « Tourbillon de vent ». Il apparaît, devant le faible nombre de pages consacré au piano, que l’instrument des débuts de la compositrice – elle avait même effectué une tournée comme accompagnatrice - a été abandonné par la suite en tant que soliste, d’où l’absence de sonates ou concertos. À propos des instruments à clavier, l’orgue lui a inspiré quelques belles pages. Son Premier livre des rois, serait, selon elle, une sonate en cinq mouvements. La vérité pencherait plutôt pour une œuvre libre commentant des fragments de la Bible, en particulier l’attente du Prophète. Le Prologue évoque, encore une fois, des chants d’oiseaux. La compositrice justifie cette présence par la légèreté immatérielle du volatile, « nul ne peut l’atteindre. » Suit une illustration sonore tumultueuse du texte prophétique « Il y eut un grand ouragan, mais Yahvé n’était pas dans l’ouragan ». Au tremblement de terre, décrit par des paquets sonores, s’opposeront les notes détachées symbolisant le feu, laissant place à la retombée sereine d’une brise aérienne conclusive ayant pour motif l’illustration de la phrase : « Dès qu’Élie l’entendit il se voila le visage pour écouter la voix de Yahvé. » Comme pendant à cette « fresque musicale », La Reine de Saba (ces deux œuvres enregistrées sur le même compact disque) nécessite, outre l’instrument à tuyaux, la percussion. Là encore, la musique illustre un texte mais cette fois lu par un récitant. Sept thèmes sont abordés, ils résument la rencontre de la souveraine avec Salomon, dont elle veut éprouver son savoir légendaire universel par diverses énigmes à résoudre. Sans entrer dans les détails, le « Ciel étoilé » n’est pas sans remémorer, au travers de son traitement et sa couleur, la musique d’orgue de Messiaen. Adrienne Clostre ne nie pas avoir découvert un univers sonore extraordinaire grâce à ce compositeur. Concernant Le Cortège de la Reine, la compositrice opte pour une passacaille, en forme de trio, durant laquelle des tintements réguliers de sonnailles viennent amplifier l’impression d’une marche ; ici, comme en d’autres occasions, le langage, en dépit de sa modernité, conserve des références au passé ne serait-ce que par le procédé adopté. La partie centrale, Les Énigmes, va offrir à la créatrice l’occasion de juxtaposer des états d’âme variés traduits par de multiples changements de mouvements, parmi ceux-ci un paisible choral. Ensuite, La Gloire du Roi, sur les accents d’une fanfare, va déchaîner la percussion. Par contraste, l’Hommage de la Reine, se contente de l’orgue seul, traité, néanmoins, à son tour, en fanfare. Après un banquet animé, Les Adieux se déroulent de manière placide. Cette grande œuvre atonale donne bien la mesure de cette musicienne quant à sa connaissance incontestable concernant cette instrumentation spécifique. De la même veine il faut ajouter Le Combat avec l’ange pour trompette et orgue, au langage proche de la sérialité, dont un passage de la partition définit : « Toute cette séquence doit avoir un caractère d’improvisation, ne tenir compte qu’approximativement des valeurs de notes » car, parfois, elle aime laisser une plage de liberté à l’interprète.

Deux instruments à cordes ont surtout eu ses faveurs : le violoncelle et la fameuse harpe celtique. Dans Garbo la solitaire (1992), la « voix » presque humaine du violoncelle vient en contrepoint d’un texte - lu obligatoirement par une femme – lequel concerne la célèbre actrice Greta Garbo. L’instrumentiste doit jouer des quarts de ton. Le même instrument sera aussi très présent pour illustrer des pages consacrées à l’alpiniste Maurice Herzog. Une place à part doit être faite à Prologue et danse pour violoncelle seul, à destination de la petite-fille de la musicienne, ne serait-ce que par l’emploi, exceptionnel chez Clostre, de gammes majeures et mineures. À partir de 1976, la harpe celtique va être mise en valeur. Le Chant de Glorfindel extrait du Souper d’Elrond, fait appel, en solo, à cet instrument jusque-là folklorique. Imposant un accordage original, la compositrice laisse libre cours à son imagination dans une quasi-sérialité. Plus tard, par deux fois, elle intégrera la grêle sonorité à un ensemble comportant la percussion ! Un véritable défi.

Les flûtes ont donné lieu à des pages pédagogiques, pour l’heure, attardons-nous à ce Concerto pour violon, flûte et orchestre (forme qu’elle apprécie peu, selon ses dires) dont deux éléments retiennent l’attention : la métrique et le dialogue. Pour coordonner un tel ensemble, il s’impose de fournir au chef d’orchestre des points de repère dans le temps. Voulant conserver sa liberté habituelle, la créatrice se plaît à commencer par un solo de violon « très librement quasi recitativo », puis par de nombreux changements de mesure. Pour clarifier le discours, elle décide, là aussi, d’alterner les solistes avec l’orchestre, tout au plus verra-t-on deux éléments de cette composante se superposer, ou, si l’ensemble joue, l’orchestre se borne à un minimum. Même si la flûte reste un peu en retrait, durant les cinq mouvements - remplacée par le piccolo dans le second - le maître mot demeure l’équilibre et la lisibilité dans un langage atonal, parfois encore à la limite du sériel. Les spécificités de cette création se concentrent sur les mouvements rapides, en particulier un perpetuum mobile où la flûte devient parfois volatile au sommet de sa tessiture, mais aussi, nouvelle originalité, des accords à effectuer par le virtuose. Autre concerto, celui pour hautbois (1969). Toutefois, affirme l’auteur, l’instrument n’est pas utilisé comme un objet sonore, mais comme un personnage agressé par son environnement ou racontant sa rencontre avec une jeune fille car « la scène n’est jamais très loin ». Adrienne Clostre revendique avoir été parmi les premières à employer les dernières trouvailles de technicité dans le jeu, tels les sons multiphoniques. Ce concerto, lui aussi en cinq mouvements, commence par un « recitativo » soliste comme la précédente œuvre, dans une formule quasi sérielle. Un choral, où la clarinette dialogue avec le hautbois, marque le troisième mouvement adagio. La « Cadenza, lento » précède le vif final. Une pointe de religiosité semble animer tout ce morceau profane. Nouveau paradoxe, celui d’intituler une œuvre Six Dialogues pour hautbois solo (1972) ! Toutefois, à l’audition, l’impression laisse plutôt entendre un monologue pour cet instrument, même s’il est conduit à jouer plusieurs notes à la fois. Encore un titre un peu déroutant, Concert pour trompette, il pourrait s’intituler concerto, mais il faut y voir une référence à J.S. Bach, d’ailleurs renforcé par une « Toccata et Fugue » (en réalité un fugato à deux voix). Au sujet de cette œuvre, la musicienne a raconté une anecdote touchante. Une prestation publique de cette page, suivie d’une retransmission à la radio, devait être donnée en ce mois de février 1961, auparavant, madame Clostre avait convié le directeur du Conservatoire, Claude Delvincourt, pour écouter, chez elle, une réduction pianistique. Le lendemain, l’illustre personnage, sur la route de Rome, fut victime d’un accident mortel ; la compositrice en avait conclu que c’était l’ultime partition qu’il avait entendue, aussi la lui a-t-elle dédiée. Il en existe deux versions, l’une avec accompagnement de piano destinée à un concours du Conservatoire, l’autre avec orchestre. Le Concert pour le souper du Roi Louis II est un morceau où alternent des tenues de cordes avec des sonneries des vents, en particulier des cuivres, en bref fugato arrive en conclusion. Puisque la trompette a été abordée, il faut savoir que la Sonate pour 2 pianos, trompette et percussion, datée de 1951, lui valut une mention au Grand Prix de la Ville de Paris. Avant de l’obtenir, elle avait remanié la version originale. En effet, sur la demande du compositeur Jacques Ibert, elle retoucha une partie de cette composition, toutefois elle se refusa à revoir l’ensemble comprenant deux fugues, bien que Nadia Boulanger lui ait aussi reproché de mettre trop de notes dans sa musique. Par ailleurs, pour certaines épreuves du Conservatoire, elle a été conduite à écrire quelques pages destinées au cornet et au trombone. Dans un recueil collectif, elle a signé une pièce, nommée Kalamar, pour saxophone alto, laquelle pièce, après un adagio, demande, dans l’« allegro ritmico », une virtuosité sans conteste, avant de revenir brièvement, à l’initial tempo.

Malheureusement, il ne reste que peu de traces de ses partitions symphoniques, dont l’une a pourtant été jouée en public dès 1963.

LES ŒUVRES DRAMATIQUES

Il ne faut pas se leurrer, derrière une foule de sous-titres très variés, l’idée première d’Adrienne Clostre, dans ses partitions pour la scène, est de faire partager ses diverses émotions à la lecture de certains textes littéraires. Elle le dit elle-même, parfois l’auditeur peut-être dérouté par l’absence de cohérence entre la musique et le mot à mot car elle ne penche pas pour la description mais pour une transcription de ses réactions.

Comme suite à ses souvenirs d’enfance, sa première œuvre dramatique fait appel à la littérature russe. Raïssa ou la Sorcière, datée de 1952, qualifiée d’ « opéra de chambre », s’inspire de Tchekhov. Avec une formulation identique, toujours du même écrivain, elle s’appropriera Le Chant du cygne, dans une traduction française. Sa partition, écrite vers 1960, sera créée en 1974. Un acteur, ivre, s’endort dans sa loge à la fin du spectacle, se réveille, déambule et rencontre le souffleur auquel il se confie. Pour la déclamation distincte, elle s’est remémorée Boris Godounov – pièce d’ailleurs évoquée dans l’œuvre initiale - mais, dès le début, sans raison majeure, la flûte aérienne évoque un chant d’oiseau, nouvel emprunt à Messiaen. Toutefois, l’aspect général opte pour les accents du Stravinsky de l’Histoire du soldat ; sa touche personnelle réside dans la volonté de souligner les problèmes existentiels de ce comédien dont la véritable inquiétude est de savoir s’il a été brillant par le passé, le souffleur ne cesse de le rassurer sur ce point, mais l’artiste craint aussi d’être oublié après sa mort.

L’inspiration d’Adrienne Clostre va être réactivée, stimulée par son séjour à la Villa Médicis. Elle découvre alors la fascinante Italie. De cette époque date Tre Fioretti d’Assisi, cantate de chambre à 6 voix et 10 instruments. Plus tard (1989) ce seront Cinq scènes de la vie italienne, spectacle musical d’après des faits divers, ces derniers sont axés sur la passion des Italiens pour les jeux, les paris et le culte des ancêtres. Le piano y a un rôle très important. À ce moment de sa vie, elle recherche un langage théâtral nouveau et deux sources lui ouvrent des perspectives : le sprechgesang et la déclamation de Debussy. Au travers de ses conceptions ultérieures, elle semblerait avoir alors opté pour la formule germanique adaptée à la langue française. En 1994, elle réaffirme son penchant pour l’âme ultramontaine dans ses Lettres italiennes, mélodrame en un prologue, formé de sept correspondances et un postlude. Ultime partition consacrée à ce peuple.

Quand Clostre choisit de s’intéresser à l’Allemagne, sa vision semble davantage portée vers l’esprit germanique que vers les habitants. Certes, elle aborde, en 1949, Concert pour le souper du roi Louis II de Bavière, remanié par la suite, mais suivi de Sie waren so schön and herrlich (Ils étaient si beaux et si magnifiques) pour contralto et orchestre, histoires fantastiques inspirées par Hoffmann. Cet « opéra de concert », dans son Prologue, fait entendre, clamé par la voix humaine, aux sons des trompettes, le nom de l’écrivain – idée originale - suit la récitation de quatre de ses contes. De la partition, l'on retiendra l’influence indéniable de l’école sérielle mais, surtout une fin extrêmement émouvante, s’il en fut, avec l’orchestre superposé à une déclamation vibrante, pour exprimer la poignante marche funèbre morando. Mais l’œuvre maîtresse demeure son Nietzsche, action musicale, en douze scènes, assimilable à une cantate profane. Clostre s’est longuement expliquée sur ses intentions : nouvelle forme de spectacle pour une salle pas très grande correspondant à une formation réduite à 18 instrumentistes et quelques chanteurs, afin de rendre compte de « ce qui se passe dans le cerveau du philosophe » ; la thématique essentielle réside dans les enjeux d’une civilisation en rupture au moment de son passage d’un monde à un autre. Cette transition, elle l’avait déjà illustrée auparavant dans Julien l’Apostat, ces deux œuvres devaient être suivies d’un troisième volet consacré à Lénine, d’où une trilogie sur ce même argument. Sans entrer dans les détails, elle oppose Nietzsche – dont elle apprécie la philosophie - à Kierkegaard, l’un prévoyant la mort de Dieu, l’autre sa vie immortelle. Une intense et énorme part d’émotion personnelle sous-tendrait ces pages car le père de la musicienne, avant de mourir, lui aurait dit : « Kierkegaard avait vraiment la foi », d’où son sentiment à la fois angoissé et jubilatoire à l’abord de ces doctrinaires. Elle a tenu à mettre l’accent sur une curiosité de la conception musicale à propos de sa création nietzschéenne. Ne sachant comment conclure son travail, elle reprit une formule du théoricien lui-même, « C’était donc ça la vie, et bien recommençons », ce qui lui donna l’idée de redonner, au final, le début de la partition (en fait, elle avait déjà amorcé ce procédé cyclique dans Le Chant du cygne). Trois enfants, et une femme symbolisant l’éternel féminin, entourant un homme aux multiples personnages, doivent, en voix parlée ou en sprechgesang, retracer le cheminement tortueux de la vie et la pensée du doctrinaire. Les sous-titres suivent les éléments retenus biographiques ou philosophiques : Venise avec la basilique Saint-Marc que Nietzsche a visité, Mort et Résurrection …. Avec la même démarche, le pendant inévitable allait suivre, dix ans plus tard (1982) dans Le Secret, une relecture du journal de S. Kierkegaard, sous-titré simplement « spectacle musical ». Il importe de savoir l’intérêt manifesté par ce philosophe pour la musique et surtout pour les partitions théâtrales de Mozart. Néanmoins, dans une mise en scène moindre, rassemblant un très petit ensemble instrumental, un récitant et un chanteur, en peu de tableaux - et une saynète pour servir d’entracte – la compositrice va se borner à commenter des bribes de vie et de pensée, regroupées par associations d’idées. Lénine ou la récréation, fresque musicale pour un ensemble instrumental (comportant six percussionnistes, orgue et dispositif électro-acoustique), dont elle rédige même le texte, basé sur l’histoire de la Russie, texte divisé en douze épisodes, dont le dernier porte le sous-titre « Tous les hommes sont condamnés à mort ! » Sans nous y attarder, citons d’autres écrivains qui ont valu des partitions lyriques : von Kleist, Auster, R.W. Fassbinder et Heidegger. Durant les années 1987-1989, ce sont les Français qui ont inspiré des musiques basées sur la littérature. D’abord, Charles Baudelaire avec l’Albatros, puis des écrits de J.L. David et J. Michelet, Peinture et liberté, un « mélodrame radiophonique ». Cette énumération montre l’éventail des formulations musicales, aux noms si divers, et des sujets abordés pour ce genre dérivé du littéraire, qui traversera presque toute son existence.

LES ŒUVRES RELIGIEUSES

Juste après son Premier Grand Prix obtenu pour La Résurrection de Lazare, Adrienne Clostre s’intéresse, durant son séjour à Rome, à Saint François d’Assise. Reconnaissons-lui la primauté de s’être consacrée à cet illustre personnage, trente années avant la création du célèbre opéra de son maître Olivier Messiaen. Elle a extrait quelques passages des poèmes, « petites fleurs » dévotes du fondateur de l’ordre des Franciscains. Tre Fioretti di San Francesco d’Assisi, se présente comme une cantate de chambre. De la même veine naîtra la fresque musicale Rome. Noël, an 800, puis O vos omnes et De Patribus Deserti. Vient ensuite son diptyque le Premier livre des rois, suivi de la Reine de Saba, pages déjà analysées dans sa musique d’orgue. C’est avec ce dernier instrument, augmenté d’une trompette, qu’elle traduit aussi le Combat avec l’ange. Faut-il considérer comme religieuse cette musique, dans sa version avec piano, destinée à une épreuve du Conservatoire ? En réalité, la partition s’inscrit tout à fait en marge de la production mystique par sa recherche, avant tout, de virtuosité, dont un glissando pour l’instrument à clavier en même temps que celui pour la trompette, des clusters chez l’un sur la ligne mélodique de l’autre, et, pour finir, des chants d’oiseaux accompagnant un choral. L’énumération serait incomplète sans citer l’Écriture de Dieu, un mélodrame d’après Borges, et surtout le Triomphe de la vertu, « action musicale et dramatique en forme de miracle médiéval » représentée, en 1999, dans le cadre prestigieux de la salle des thermes gallo-romains de l’hôtel de Cluny, à Paris ! Preuve de son esprit de chercheuse et de son immense culture, la musicienne puisera son inspiration chez une nonne-poétesse méconnue, Hrotsvita. Celle-ci écrivit, en latin, l’histoire de trois vertueuses fillettes, adeptes de Jésus-Christ, luttant contre la volonté d’un empereur romain polythéiste. Pour préserver leur foi, des anges les aideront. La lutte entre deux idées religieuses opposées, la fracture qui s’ensuit, voilà une nouvelle démonstration du centre d’intérêt fondamental de la compositrice. Sur ce même thème réside son œuvre mystique majeure, Julien l’Apostat, premier et seul véritable opéra, prétend-elle, « C’est mon Boris à moi », toutefois, après l’ensemble de l’audition, on pense plutôt à une œuvre d’Honegger. Mais, de manière symbolique, pour remémorer la partition de Moussorgski, la mise en scène débute sur le parvis d’une église, le jour de Pâques ; le personnage principal, Julien, encore étudiant, bouscule un pauvre aveugle. En huit tableaux, la créatrice, s’inspirant d’Empereur et Galiléen d’Ibsen, dresse le portrait d’un monarque, qui, après avoir opté pour la chrétienté, veut revenir au culte des dieux grecs, contre l’avis de Constantin lequel avait choisi, lui, le christianisme. Ces hésitations, ces louvoiements de l’histoire, s’accompagnent d’un commentaire, d’une morale de la compositrice : « Il ne faut pas tirer l’épée contre le devenir. » Après un remarquable tutti pour la description du chaos, au cinquième tableau un soliste clame « Un Dieu peut-il mourir, ce sont les hommes qui meurent » et pourquoi donc se fâcher contre les morts ? Le décès du héros de l’histoire sera illustré par une très belle marche funèbre escortée par une flûte volubile qui remémore le début de la partition. La personnalité de la compositrice ressort, en particulier, dans ces deux cortèges se croisant, l’un disciple de l’ancien monde grec, l’autre du nouveau, chrétien, avec la friction des mélodies que chacun imagine. Le choix de ce sujet particulier, Julien l’Apostat, entre dans un cadre identique à celui de ces personnalités du monde civil ayant été impliqué, directement ou indirectement, au chavirage des civilisations, voire à leur extinction.

LES ŒUVRES PEDAGOGIQUES

Dans le domaine éducatif, Adrienne Clostre se caractérise par une production attachée tant à la prime enfance qu’aux étudiants avertis. Il est possible de qualifier de culturels certains spectacles musicaux pour les tout-petits. Deux sont basés sur les célèbres contes de Grimm. En un acte et deux tableaux, elle reprend et orchestre Les Musiciens de Brême, puis, réécrit le texte de la Petite barbue donnant naissance à un « spectacle musical pour enfants ». Qui croirait que cette femme, habituée à la lecture des grands philosophes, s’est attardée à raconter l’histoire d’un pauvre poisson ? Qui croirait que ce Premier Grand Prix de Rome, professeur du Conservatoire, va s’abaisser à composer « pour des débutants ayant un ou deux ans de solfège », comme elle le précise ? Deux petits solistes se détacheront du double chœur, ils alterneront le parler, le parler rythmé, voire le sprechgesang, et exécuteront même une ballade chantée en anglais ; tout ce monde enfantin sera soutenu par un ensemble professionnel de vents et percussions. C’est avec le même état d’esprit qu’il faut lire les neuf pièces pour piano intitulées Histoire de Galmich (1992). Lire, car un texte littéraire accompagne chaque partie de l’histoire de ce gnome, au cœur généreux, souffrant des multiples conflits autour de lui. Trouver la source de « l’eau pacifique », voici la solution suggérée par son ami Alberthus. Double particularité de ce volume, chaque épisode reçoit une dédicace de la compositrice à ses petits-enfants, telle « A ma petite fille Géraldine ». Par ailleurs, le quatrième fragment qui commence comme une simple étude atonale à deux voix, se termine par un choral tout en accords. En 1997, Prologue et danse pour violoncelle seul revient à « Géraldine Meunier, ma merveilleuse petite fille » ; après le Prologue « recitativo espressivo » très libre, proche du do mineur, suit la danse, succession de croches aux accents décalés, effleurant la tonalité de do majeur. Deux ans plus tard, c’est Aria pour flûte et piano, qui est destiné à Sarah Mallet, « ma charmante petite fille ». Dans un recueil, publié en France en dépit de son intitulé I begin to play the cello, on trouve, de la compositrice, Geraldine and Sarah, un dialogue alterné, jouable par un(e) ou deux débutant(e)s en violoncelle, par contre Vivien and Aloïs, impose deux musiciens, en herbe, dont l'un devra, tout de même, être capable d’effectuer des doubles-cordes. Autre œuvrette, Babillages pour flûte à bec soprano et épinette (ou clavecin ou piano) avec de grands intervalles, dans un langage quasi atonal, sur un rythme simple, l’exercice doit conduire à une initiation à la musique contemporaine, démarche voulue dans cette publication placée sous le patronage de la Fédération Française de l’Enseignement musical. En revanche, au niveau le plus élevé, à la demande du Conservatoire National Supérieur de Musique, la créatrice a proposé des morceaux de concours de la plus grande dextérité. Ici, Concert pour trompette et orchestre et le Combat avec l’Ange, déjà analysés. Là, Six variations pour cornet en si b, jouable à la trompette, dont une particularité de construction mérite d’être notée : le thème, quasi sériel, énoncé par le pianiste, se retrouve en miroir, à la seconde variation ; suivant la technique coutumière de la compositrice, les deux musiciens jouent le plus souvent en alternance, dans des séquences plus ou moins mesurées. Dialogue II pour trombone et piano existe en version piano et percussion ; le pianiste, hormis des clusters, joue, le plus souvent, de manière monodique, quant au tromboniste, malgré toute la virtuosité moderne sollicitée, est prévenu que les « couleurs sonores » indiquées sont fonction de son sens musical. Passons sur cette Vocalise pour piano figurant dans un recueil de difficultés progressives, pour terminer par sa participation à l’hommage rendu à Nicolas Vaccaj, pages incluses dans un volume collectif baptisé « Vocales 2000 » (paru en 2004) où sont proposées diverses pièces pour une introduction au répertoire contemporain. Ses deux courts exercices, I don’t now et Arrêt sur soupir, visent à faire travailler les variations de couleurs des voyelles et des diphtongues, c’est pourquoi son texte littéraire, incorporant des phonèmes inventés, précise, par une signalisation personnelle, les diverses prononciations sollicitées. On pourrait dire, par ses commentaires, qu’il s’agit là d’une profession de foi traduite en deux formules : d’une part, comme elle le spécifie, le sprechgesang et la voix parlée supplantent le chant proprement dit, d’autre part, dans les deux exercices proposés « les indications d’expression stimulent une recherche de théâtralité vocale où les variations du timbre sont le personnage principal ». Ainsi, fidèle à sa devise, la mélodie traditionnelle n’est pas le seul mode d’expression et tout acte sonore doit se situer dans un contexte scénique. Voilà, sur ce plan compositionnel, ses pensées ultimes.

LA VIE QUOTIDIENNE

Peu de musiciens ont puisé dans la vie de tous les jours des motifs de composition. Sans revenir sur ses Scènes de la vie italienne, prémices de ses banales narrations, la première ascension de l’Annapurna, racontée par son intrépide auteur, Maurice Herzog, dans Premier 8000, n’est pas, pour Adrienne Clostre, un simple fait divers. D’après des témoins, elle avait, sur son piano, la photographie de ce téméraire vainqueur. Elle va l’idéaliser dans une « action musicale en un prologue et sept séquences » du nom de la montagne, retraçant les diverses étapes de la pénible et redoutable escalade, y compris une gigantesque avalanche imprévue qui va recouvrir le héros. Le chœur de femmes, chantant dans le grave, va se trouver opposé à un homme … haute-contre ! Ce dernier évoque, prétend la musicienne, des moines bouddhistes, lesquels sont plutôt renommés pour leurs basses !! Il est bon de connaître la distribution spécifique et précisée des instruments : le violoncelle est censé nous faire partager les états d’âme de l’alpiniste, la petite trompette représente la montagne, les crotales l’idée de la glace. En parallèle à cet homme audacieux, contemporain, certaines personnalités féminines vont aussi attirer l’attention de la compositrice. Coup sur coup, elle glorifiera la romancière Virginia Woolf, l’actrice Greta Garbo, la sculptrice Camille Claudel. De la vie de cette dernière, elle tirera une action chorégraphique en trois épisodes, puis la musique d’un film. La britannique Woolf sera à l’origine de Waves puis Sun, deux « lectures » issues de divers éléments biographiques de cette femme de lettres, l’une dans une version pour piano, l’autre pour quatuor à cordes. Comme complément à cette série, l’année suivante (1992) Garbo la solitaire, suite pour violoncelle seul et voix off, raconte certains passages de la vie de l’inoubliable divine comédienne. Cette star mythique du cinéma, décédée en 1990, avait auparavant préféré, pendant une cinquantaine d’années, s’éloigner du public et même du monde. La musicienne imagine la vedette, isolée dans son appartement new-yorkais, se remémorant quelques souvenirs ; l’œuvre se réfère à cinq « épisodes » spécifiques de cette déambulation. Le Prologue et la première séquence s’attardent sur deux films, joués autrefois par l’actrice, puis, sa fuite en Italie avec un chef d’orchestre. Une phrase parcours toute la partition « I want to be alone ». phrase entrecoupée, un instant, par des rires évoquant certains passages de ses films. Le violoncelle, avec toute sa palette technique, quarts de ton, lentes glissades vers l’aigu, « douloureusement », va souligner les clameurs, déchirantes suppliques : « Help me …God, help me … I want to leave. »

Encore plus curieux et original, l’idée de Clostre de se mettre plusieurs fois en scène comme dans ce mélodrame en trois épisodes, nommé Réanimation, faisant suite à sa propre hospitalisation. Son autobiographie musicale donnera aussi naissance à Chant d’insomnie, des insomnies dues aux suites d’une grave maladie. L’œuvre, écrite sur le tard, fournit bien un résumé de son passé et de ses préoccupations présentes. Ce sont surtout des extraits de poèmes, appris depuis son enfance, tels ceux de Corneille ou Baudelaire, qui servent de trame littéraire. À l’originalité habituelle de l’instrumentation, flûte juxtaposée au cor avec adjonction de la percussion, s’ajoute une voix de haute-contre dont la particularité sera de s’exprimer alternativement dans l’aigu et le grave comme en un dialogue avec elle-même ; ce timbre vocal spécifique, capable, relève la compositrice, d’être glacial ou chaleureux, pris en un parlé de poitrine va déclamer des phrases interrogatives, et, dans de mélodieuses mélodies, en voix de tête, affirmatives. L’atonalisme, un chant d’oiseau, une alternance de la langue française et anglaise caractérisent aussi ces pages. Mais que recherche l’auteur ? Paradoxalement nous évoquer, au travers de ses veillées, l’idée du trépas. Dans ce dessein, elle puise chez Victor Hugo des textes émouvants ayant trait à la disparition de sa fille à Villequier et des fragments de la vision mystique d’un Saint-Jean de la Croix, pour conclure par des lambeaux de phrases qui la touchent, peut-on imaginer, de manière personnelle : « Dormir, je veux dormir, rêver, peut-être » … « À quelle heure de la nuit est-il mort ? »…

UNE VIE, UNE ŒUVRE

Si nous mettons côte à côte la personnalité de la compositrice et son œuvre, divers éléments étonnent ou détonnent surtout compte tenu de sa déclaration : « Je pense qu’on écrit pour se traduire soi-même pour se chercher soi-même sans penser au public. »

Dès lors, il est possible, dans cette projection affirmée de son moi, de se poser des questions sur la part de réel et d’imaginaire transmis au travers de sa production. Ainsi sommes-nous en droit de nous interroger sur la part de vécu, à la lecture de la réponse d’une réplique telle « N’as-tu donc pas écrit, toi aussi, des lettres d’amour ? » qui vaudra cet axiome dû à sa main : « Toutes les lettres d’amour sont ridicules », ce sera la seule phrase prononcée par une femme durant la vingtaine de minutes de Permutations ! Dans le même ordre de pensée, il s’impose de relire Raïssa, cette nouvelle de Tchekhov, source de son inspiration, rebaptisée Raïssa ou la sorcière. Un couple russe se voit obligé d’accueillir, dans leur maison isolée, un postier et son cocher perdus dans une tempête de neige ; le mari, chantre, constate que ce genre d’événement se produit de manière périodique, il en déduit que sa femme, Raïssa, par sorcellerie, parvient à modifier les conditions météorologiques afin d’introduire d’éventuels amants ; de fait, elle commence à séduire le plus jeune des derniers arrivants, aussi son mari, amoureux, chasse les intrus puis va se coucher avec son épouse ; il veut alors la caresser mais … « elle lui donna un coup de coude si violent à la racine du nez qu’il en vit trente-six chandelles. Son nez cessa bientôt de lui faire mal, mais le supplice continua. » Qui ne s’étonnerait de ce choix, parmi les dizaines de nouvelles de l’écrivain russe ? Une réponse pourrait se trouver dans ce triptyque consacré à des femmes. La musicienne ne s’apitoie pas sur le tragique bref destin de Lili Boulanger – de mère russe - première femme Grand Prix de Rome, pas plus que des difficultés professionnelles rencontrées par la franco-polonaise Marie Curie qui poursuivra ses recherches au péril de sa vie (la seule à avoir remporté deux Prix Nobel), Adrienne Clostre ne s’intéresse pas non plus à l’héroïque Madeleine Vincent (communiste combattante de la Résistance, déportée), ni à Hélène Boucher (aviatrice intrépide fauchée dans la fleur de l’âge), ni à Simone Veil, ministre, ou à la philosophe Simone de Beauvoir. Pourquoi retient-elle seulement Greta Garbo, Virginia Woolf, Camille Claudel ? Quels sont les points communs entre ces artistes ? Contrairement aux autres personnalités citées, ce trio a eu, à divers degrés, des problèmes existentiels : la première se cloître dans une solitude maladive, le seconde se suicide, la dernière est internée dans un hôpital psychiatrique. Un autre convergence les relie : toutes ont des difficultés relationnelles avec les hommes. La sculptrice Claudel, refuse d’admettre que le vieux Rodin préfère se marier avec une personne de son âge plutôt qu’épouser une jeunette, elle sombre alors dans la folie ; quant aux deux autres, en marge d’une vie conjugale mouvementée, elles sont fortement soupçonnées d’être lesbiennes. Ainsi, Adrienne Clostre, au travers de l’actrice américaine, pense à l’interprète de Ninotchka, austère à souhait au début de son rôle, mais riant aux éclats à la vue d’un comte culbuté par maladresse, après avoir voulu s’asseoir, tournant en dérision un notable ; par ailleurs, la compositrice ne peut ignorer le titre symbolique du film, Camille ou l’impossible amour. C’est pourquoi, on peut s’étonner d’un autre fait concernant la compositrice. Mariée, durant son séjour à la Villa Médicis, à un Grand Prix de Rome d’architecture, on s’attendrait immédiatement à une osmose sur le plan créatif, or il faut patienter quarante années pour découvrir un titre d’une partition en rapport avec l’art visuel (Peinture et liberté). Ce fait, n’exclut pas une excellente entente du couple, comme le souligne son amie et biographe, Pierrette Germain. Sur ce plan humain, la correspondance d’Adrienne Clostre avec Nadia Boulanger laisse aussi perplexe. A-t-on vu une créatrice novatrice confirmée, ayant dépassé l’âge de trente ans, suivre, au pied de la lettre, des conseils compositionnels de son aînée ? Que signifie le reproche qui lui est adressé d’avoir mis trop de notes dans l’une de ses partitions ? Imaginerait-on un Proust raccourcir ses phrases littéraires sous le prétexte de leur longueur inusuelle ? Non seulement la compositrice plaide coupable, corrige son œuvre, mais promet, après amende honorable, à l’avenir, de tenir compte de la critique donc de changer son style ! Après l’obtention de la plus haute distinction, serions-nous encore en présence d’une élève ? On le croirait en découvrant aussi une humble demande de lettre de recommandation avant de rencontrer un célèbre chef d’orchestre. Pourtant, ailleurs, il semblerait qu’elle établisse une franche relation amicale avec la même Nadia Boulanger, quoique madame Adrienne Clostre-Biset s’excuse, après coup, de ne pas avoir averti la pédagogue de son mariage ; c’est néanmoins sur un ton amène que toute la famille est mise en contact avec la mentor. Autre sujet de perplexité. Parmi les œuvres publiées, la plupart de ses dédicaces se rapportent de manière chaleureuse, personnalisée, nominative, à ses petits-enfants, pour le reste ce sont de très rares personnalités qui figurent en tête de ses pages, sans commentaire spécifique : Jay Gottlieb (son pianiste préféré), Claude Delvincourt à la suite de son décès, mais, apparemment, très peu d’autres membres de son entourage ont l’honneur d’être glorifiés et immortalisés. Pourquoi ? Et que penser de son « hommage » tardif à son père ? Grand et premier admirateur de la pensée et de la religiosité du danois Soren Kierkegaard, la musicienne attend le décès de son géniteur pour évoquer, dans sa musique, ce philosophe ; elle compose alors une partition qu’elle intitule Le Secret, titre ne correspondant à aucun ouvrage précis du théoricien ; de manière ingénue, elle prétend ne pas savoir si, derrière ce choix personnel, se cache sa propre biographie. Peut-on faire un parallèle entre la vie de la créatrice et cette œuvre ? Troublant constat, juste après la disparition qui la touche, son écrit débute par une évocation d’un décès : celui du père du philosophe ; la musicienne s’attarde longuement sur les rapports ambigus de ce géniteur avec son fils – ils sont assimilés, dans le texte rédigé par Adrienne Clostre, à ceux d’Abraham contraint, par Dieu, de tuer sa progéniture Isaac : « Il vaut mieux qu’il me voit comme un monstre que de perdre la foi » – aussi, entend-on, à la suite de l’annonce de la mort, de longs et forts rires, entrecoupés par l’une des plus dramatiques marches funèbres ! Après un choral pianistique très émouvant, à la fin de la partition ce sera au tour du fils, Soren Kierkegaard, d’agoniser avec pour ultime mot : « immortel »…

Sur le plan de sa pensée musicale, les interrogations ne manquent pas, non plus. Madame Clostre veut nous faire admettre que sa musique instrumentale et vocale ont, toutes deux, la même force théâtrale. Certes, la couleur sonore peut nous transporter dans un état d’âme, mais très subjectif, en fonction des vécus et civilisations. Quel sentiment exact évoque la sonorité d’un violon ou d’un piano en soi, la tristesse ou la gaieté ? Les phases, les mots ne peuvent se mettre sur le même plan que la musique pure. Toutefois, pour remédier à cette différence, des conventions ont été élaborées et édictées en Europe. Les gammes mineures se rapportent, en général, à la tristesse, les majeures à la joie. Or, ce système n’a pas été retenu par la compositrice. Elle eut pu, s’inspirant de son maître Darius Milhaud, pencher pour une polytonalité, ou, adopter, comme son autre professeur, Olivier Messiaen, des modes à transpositions limitées, technique issue de la pensée indienne. Mais, dès le départ, la musicienne rejette, de manière catégorique, tous ces dogmes, donc ces repères. Elle choisit, d’abord le dodécaphonisme, puis le sérialisme avant d’opter, définitivement, pour l’atonalisme avec, si besoin, dit-elle, des clusters, paquets sonores pour supprimer toute référence aux gammes du passé. Dès lors, qui peut dire, même de nos jours, avec la meilleure volonté de l’interprète instrumentiste, la subtilité des états d’âme réels évoqués ? Certes, une musique lente se rattache à la tristesse, mais est-ce valable dans tous les pays ? Qui pensera, comme elle l’a affirmé, à une rencontre amoureuse en écoutant le second mouvement de son Concerto pour hautbois ? N’aurions-nous pas, dans son cas, plutôt affaire à une musique tantôt tributaire du texte, tantôt non descriptive ; libre à chacun de réagir comme il l’entend ? Autres déclarations contestables : sur le plan sémantique, elle laisse croire à une innovation quand, dans son Concerto pour flûte, violon et orchestre, elle se vante d’établir un dialogue entre les instruments comme s’ils étaient des personnages, or le dialogue est, par définition (se concerter), la fonction, en essence, primordiale, de cette forme musicale. Dans le même ordre d’idée, pour expliquer ses diverses appellations, elle s’élance, avec conviction, dans une différenciation discutable, voire biscornue, entre « opéra » et « théâtre lyrique », s’appuyant sur des questions du nombre des interprètes. En réalité, Adrienne Clostre compose, selon son inspiration, sous divers titres, des œuvres instrumentales ou lyriques à géométrie variable, comme par le passé.

Les sujets déconcertants se poursuivent dans un autre domaine. Bien que Française, la compositrice va surtout tourner ses regards vers l’étranger, en particulier vers l’Allemagne et les pays anglo-américains. Certes, au départ, elle a une attirance pour la Russie, puis l’Italie, mais pour le reste ? Ses auteurs favoris sont, dans l’ordre, pour les esprits germaniques Grimm, Hölderlin, Hoffmann, Nietzsche, Fassbinder, auxquels on peut ajouter la nonne Hrotdvita ou l’évocation de Louis II de Bavière, et, à la limite, le danois Kierkegaard, le norvégien Ibsen. Pour les autres sources d’inspiration, l’Argentin Borges, l’Anglaise Woolf, les Américains Paul Auster, Greta Garbo, sans parler du pianiste Jay Gottlieb. De plus, qui imaginerait la compositrice écouter et s’inspirer du groupe anglais, les Beatles, durant sa rédaction de Nietzsche ? Elle aime, dit-elle, leurs voix asexuées, mais, de manière incompréhensible, là, elle n’emploie pas ici la voix de haute-contre, une option utilisée ailleurs ! De même sur le plan compositionnel, elle jure, tout au long de sa vie, par le dodécaphonisme autrichien et ses dérivés que sont le sérialisme ou l’atonalisme. Constat linguistique parallèle quand elle évoque, très souvent, son « sprechgesang » et d’ajouter parfois « à la Française », pourquoi ne pas employer le terme « parler-chanter » et préférer l’expression d’Outre-Rhin ? D’ailleurs, quand elle emprunte le texte d’Hoffmann, elle conserve la langue originelle et, dans sa partition nietzschéenne, elle mêle le français à l’allemand. A. Clostre donne aussi l’impression, peut-être sans en avoir conscience, de s’approprier, de transposer en partie les idées wagnériennes : le chromatisme de l’un laisse place à l’atonalisme de l’autre, « l’opéra », « le drame lyrique », « l’action musicale » termes employés ici se retrouvent là, sa préoccupation de la lutte entre le paganisme et le christianisme domine, comme dans Tannhäuser, par ailleurs, elle reprend à son compte l’idée de la primeur du style dramatique sur l’intensité de la couleur pittoresque. S’y ajoute une sorte de continuité entre les œuvres par les thèmes abordés, Julien l’Apostat, Nietzsche, Kierkegaard et Lénine devenant sa tétralogie. Dans ce schéma conceptuel venu hors de notre hexagone, ne la voit-on pas dans ses ultimes pages, publiées en 2004, préférer des titres anglais : I don’t know ou Geraldine and Sarah ? Juste auparavant elle avait écrit Brother Blue et, y compris dans ses Chants d’insomnie (2000), où elle affirmait puiser des textes exclusivement de ses compatriotes, se glisse la phrase « For twenty dollars » ! Plus flagrant encore dans cet attrait pour l’étranger, si elle met en relief, de rares fois, des bribes d’auteurs de notre pays - dont un fond sonore pour l’Homme qui rit de Victor Hugo - il ne se trouve aucune page conséquente pour glorifier nos personnalités intellectuelles, comparable à son vibrant hommage « à la mémoire de Fassbinder ». Pourquoi cette mise à l’écart ? S’y ajoute le fait, indubitable, qu’elle reste complètement hermétique aux philosophes français. N’y a-t-il rien à puiser chez eux ? Quant aux quelques femmes évoquées par elle, si l’on exclut notre Camille Claudel, elle s’attarde surtout à celles, fictives ou réelles, qui ont vécu hors de nos frontières : la sorcière Raïssa, la reine de Saba, la nonne Hrotsvita, Virginia Woolf et Greta Garbo, pour finir. Pas une musicienne rehaussée, ni Louise Farrenc, compositrice professeur au Conservatoire dont la musique était remise à l’honneur de son vivant, ni, en dépit de son admiration, Nadia ou Lili Boulanger dont elle eut pu écrire un Tombeau.

Curieux aussi cette façon de s’approprier une pensée d’autrui. Ne déclare-t-elle pas, après la composition d'El Tigre di oro y sombra (Le Tigre d’or et d’ombre) : « Ce que j’ai ressenti à la lecture de ses poèmes, c’est peut-être pas tout à fait Borges » ? Elle se plaît à répéter qu'elle ne cherche jamais à mettre en valeur un texte mais à broder autour, en fournissant ses impressions personnelles à la lecture. Cette démarche singulière semble refléter, en substance, un certain mépris pour l’auteur. D’habitude, le compositeur se borne à tenter de suivre scrupuleusement, d’enjoliver, d’amplifier le contenu des mots, certes, selon son appréhension et son interprétation, mais en évitant de dénaturer la pensée, surtout si l’écrivain est contemporain. En réalité, peut-être à son insu, en général toutes les phrases littéraires sont toujours commentées en musique de manière habile, sensible, intelligente, de bout en bout. Comme contre exemple de ses dires, elle apprendra l’espagnol pour lire Borges dans l’édition originale, afin de comprendre l’ambiguïté de ses personnages ; quant au neuf poèmes, choisis par elle, représentatifs de cet auteur, elle les illustre musicalement – elle en fera deux versions - de manière remarquable, avec le respect des intonations linguistiques et des sujets traités. Elle met en valeur l’esprit hispanique dans la douceur d’un soir à Buenos Aires, ou au travers d’une chanson populaire (certes avec une harmonie toute personnelle) sur les rythmes du tango, à l’opposé elle traduit la violence extrême exhalée par le texte intitulé « Boucherie ». D’ailleurs, d’entrée en matière, le poème « Le Poète proclame sa renommée », sur un accompagnement sauvage, va se conclure par le maître mot : « muerto ».

Provocante, elle le devient en particulier dans sa conscience religieuse. Son emploi du choral - formule issue du culte protestant à l’origine - dans beaucoup de partitions profanes, donne l’impression d’un parti pris, à contre emploi. Mais quel est son penchant mystique réel ? Adepte de la Bible, penserait-on, après les pages consacrées à la reine de Saba, au livre des Rois, à la vie de Lazare, mais aussi par ses textes empruntés à une nonne, à saint François d’Assise, aux évocations de Julien l’Apostat, mais aussi par sa référence au croyant Kierkegaard ou par le choix du titre Combat avec l’ange pour une épreuve du laïc Conservatoire. Mais alors que vient faire alors son intérêt pour Lénine ou Nietzsche ? Elle est profondément attachée au philosophe « par des correspondances profondes », dit-elle, or, tout le monde connaît son négationnisme religieux, d’ailleurs, la musique voulue qu’elle compose correspond à cet état de fait : « C’est une Passion théâtralisée, mais ante Christ puisqu’il y a la mort de Dieu », proclame la compositrice, sans complexe, publiquement, dans une église parisienne. Et, pour encenser ce païen, cet idolâtre, elle multiplie des symboles profanateurs, telle la découpe musicale en douze « stations » comprenant un Prologue, intitulé Ecce homo, puis « le Banquet », un simulacre de la Cène suivi d’un Veni Creator. Une véritable déification du philosophe, surtout comparée à celle qu’elle accorde au pieux Kierkegaard. Non seulement ce dernier attendra pour être glorifié, et de manière moindre, mais il ne semble pas anodin de constater qu’elle a donné son aval pour le décor - lors de la représentation de sa pièce - juxtaposition incongrue d’une grande photographie du moraliste chrétien côtoyant celle de Jean-Paul Sartre ! À l’identique, dans ses notes personnelles, pour Julien l’Apostat, elle suggère de mettre des masques semblables aux acteurs représentants les étudiants, les putains, les femmes chrétiennes … Approuve-t-elle aussi la phrase malveillante, misogyne, peu catholique, qu’elle inclut dans son Nietzsche : « Tu vas chez les femmes : n’oublie pas … le fouet ! » ? Connaissait-elle aussi la pensée de son autre idole et inspirateur, Tchekhov : « (La femme) pour ce qui est de la création, c’est une oie » ? Ses choix invraisemblables, fantasques, ses options étranges s’inscrivent, dit Adrienne Clostre, dans les pas justement de Nietzsche qui se définissait par la formule « Je suis de la dynamite », une sentence qu’elle reprendra à son compte. Cette démarche, elle l’avait prouvée dès 1963, dans ses Cinq Scènes de la vie italienne qui firent un scandale car se mêlaient des personnages hétérogènes comme un évêque, un sorcier, un fossoyeur … dans un scénario rocambolesque, même s’il reflétait des réalités. Un fossoyeur vénère, chez lui, les ossements de sa mama, pendant qu’un dénommé Marcello tue sa belle-sœur, sur ordre du sorcier, afin de sauver sa femme victime d’une maladie incurable. La musique accompagnatrice, au milieu des clusters, évoque peu l’Italie ( pays qu’elle affirme aimer presque autant que sa patrie ) ; la compositrice précise que la soprano joue la grand-mère, la haute-contre tient le rôle de l’aubergiste ! S’additionne le plan musical, une guitare électrique, un rocker, un juke-box, lesquels interviennent sur un fond de match de football télévisé, et, rapportent les journalistes présents dans la salle, durant toute la soirée des peintres – habillés en hommes du quattrocento - brossaient les Noces de Cana ! Un méli-mélo audio-visuel, à la limite de la caricature désobligeante d’un peuple, et certainement sans précédent.

Désinvolture ? Profanation ? Plaisir de choquer ? Quel est le but de l’artiste ?

Peut-être une réponse se trouve-t-elle dans la mise en scène d’une de ses pièces, Julien l’Apostat. Pour symboliser la rupture entre deux mondes, en l’occurrence celui voué aux dieux grecs, opposé à celui du christianisme naissant, un funambulisme passait au-dessus des deux groupes rivaux, s’entrecroisant. Cet homme, perché au-dessus de la foule, sur son fil, risquant de basculer à chaque pas, d’un côté ou de l’autre, pourrait évoquer Adrienne Clostre. Elle tente de maintenir son équilibre entre des philosophies contradictoires, dans un « déchirement continuel », avoue-t-elle. Au travers de sa culture encyclopédique, elle retient, avant tout, la religion comme terrain privilégié de méditation ; mais elle voit, par les mœurs de son époque, l’amoralité, le stupre, l’égoïsme, un rejet des doctrines fondamentales judéo-chrétiennes. « Ne savez-vous pas que Dieu est mort ? » reprend-elle en chœur, après Nietzsche. La personnalité douce, avenante, aimable décrite par l’entourage de la musicienne, ne cacherait-elle pas une désabusée, sulfureuse blasphématrice ?. Nous donnerait-elle, dans l’une de ses ultimes pages, sa vision de l’être du futur ? Se référant à un texte de René Quinon, son Pour Cyclope, chant pour une voix inhumaine, semble imaginer les créatures de l’avenir avec un seul œil, incapables de communiquer entre elles compte tenu de leur expression sonore indescriptible et incompréhensible, monstres misérables, individualistes, errants sans but « condamnés à rien … plus nus que nus. »

Face à cette personnalité complexe, la musique elle-même, certes parfois insolite, laisse, en général, une impression de stabilité dans la mesure où il ne se dégage pas une évolution ou des périodes marquantes, avec une double unicité constante : l’atonalisme et la théâtralité. Reste, au sujet de cette compositrice (qui préfère la dénomination « compositeur ») à savoir si les multiples honneurs dont elle a bénéficié durant son existence, vont se prolonger post-mortem et lui donner la pérennité. En regardant de près certaines pages, il semblerait que l’une des préoccupations de l’artiste ait été, justement, ce devenir après la disparition.

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 DESPORTES Yvonne

Cobourg (Allemagne) 1907 – Paris 1993

Scrogneugneu !
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, beaucoup d’élèves des écoles de musique et des Conservatoires ont enduré les innombrables Leçons de solfège (en général à changements de clés) signées par Yvonne Desportes. Peut-être victime de cette série d’œuvres didactiques de haut niveau, la pédagogue a non seulement gommé la compositrice, mais aussi l’image de cette femme car tous les potaches - dont j’étais - se figuraient, avec certitude, avoir affaire à une austère personne ? Mais peu d’entre nous connaissaient ses Amusettes du P’tit flûtiot, les Cabrioles de Clarino, ou la Foire aux croûtes. Qui sait, aujourd’hui, son nombre total de titres ? … 512 numéros. Il a fallu attendre après sa mort pour voir imprimer, grâce à ses enfants, une belle plaquette inventoriant, de manière méticuleuse, cette abondante production.

Née à Cobourg en 1907, d’un père compositeur-chef d’orchestre et d’une mère peintre, Yvonne Desportes, avant l’âge de douze ans, a écrit sa première œuvre, le Congé de Papa et exposé ses tableaux de peinture !!! Son talent de dessinatrice, doublé de sa modestie, se retrouve d’ailleurs dans plusieurs de ses partitions imprimées, ornées d’illustrations de grande qualité, dont on cherche vainement le nom l’auteur.

Après ses études de piano avec Yvonne Lefébure, et Alfred Cortot, elle entre au Conservatoire National Supérieur de Paris où elle suit, de 1925 à 1932, les classes d’écriture de Jean et Noël Gallon, Marcel Dupré, Maurice Emmanuel et Paul Dukas. Dès 1927, avec un premier prix d’harmonie, elle sort de la classe de Jean Gallon pour y être engagée aussitôt comme répétitrice. Une fois terminées, de manière brillante, ses études d’accompagnement, puis de fugue, elle est sollicitée pour rédiger les partitions des concours du Conservatoire. Elle compose alors son Prélude, variations et final (1930) pour flûte, hautbois, clarinette, cor et basson, tout de suite édité par Southern Music Company (USA) ; Yvonne Desportes se voit même décerner le « Prix Lili Boulanger ».

Poussée par Paul Dukas, en 1931 elle décroche le deuxième Premier Grand Prix de Rome, devançant Henriette Puig-Roger. À ce niveau de récompenses un doublé féminin ne s’était jamais produit. L’année suivante, la voici Premier Grand Prix ; seules quatre femmes auparavant l’avaient obtenu. Sa cantate Le Pardon, sur des paroles de Paul Arosa, a été salué par le Courrier Musical : « Elle montre chez son auteur un tempérament dramatique (sic) qui autorise de grandes espérances. »

Scrogneugneu !
Tempérament dramatique ? « Très léger et moqueur » voici l’indication liminaire de sa partition Villanelle (Heugel, 1932) mélodie sur une poésie coquine de Philippe Desportes (1546-1606) :
Rozette, pour un peu d’absence,
Vostre cœur vous a changé,
Et moy, sçachant cette inconstance,
Le mien autre part j’ai rangé :
Jamais plus, beauté si légère
Sur moy tant de pouvoir n’aura :
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier se repentira.
Ah ! Ha ! Ha !….

La compositrice emploie, déjà ici, un langage musical très personnel fait de chromatismes et de dissonances comme dans son autre mélodie Double amour. À la Villa Médicis, elle rencontre et épouse Ulysse Gemignani, Premier Grand Prix de Rome de sculpture. Celui-ci réalisera un magnifique buste en marbre de sa femme, buste exposé au Petit-Palais, à Paris. Etant dans la Ville éternelle, elle se voit obligée, en 1932, de suspendre sa fonction de répétitrice d’harmonie au Conservatoire ; à son retour elle se retrouve au même emploi mais en solfège, de 1937 à 1938. Alors commence l’écriture de ses fameuses Leçons de solfège, mais aussi d’inattendus Chœurs de Campeurs sur des paroles de Paul Vaillant Couturier. À partir de 1943, elle devient professeur titulaire de la classe de solfège puis, en 1959, de celle de contrepoint et fugue.

Les paradoxes ne manquent pas quant à la production, puis à la diffusion, des œuvres d’Yvonne Desportes. Son catalogue complet rassemble 332 opus de musique instrumentale, 159 opus de musique vocale et seulement 31 ouvrages pédagogiques. Certes, tout n’est pas publié, mais il faut surtout noter qu’une seule et unique longue œuvre a été enregistrée et diffusée pour le public sur un disque 33 tours, le « Conte musical pour enfants et trio » intitulé La Chouette de Renou. L’audition démontre une excellente adaptation des mélodies aux juvéniles interprètes ; au verso du disque, l’accompagnement du trio à cordes, enregistré seul, dévoile son ingénieuse facture. Par ailleurs, d’autres pages ont bénéficié d’un certain nombre d’émissions radiophoniques, toutefois la quarantaine de documents sonores – conservés à l’INA - n’a été diffusée qu’une seule fois entre 1950 et 1993. Rareté pour une compositrice de 80 ans, un entretien télévisé lui a été consacré, lors de l’émission le Jour du Seigneur, où elle donne sa profession de foi : « Je ne me casse pas la tête, j’aime le bon dieu. Aimez-vous les uns les autres. »

L’une des premières importantes compositions résume bien tout cet état d’esprit : Maître Cornelius opéra (comique ?) en 3 actes, commande de l’Etat de 1939, entendu sur les ondes, en 1950. Le texte de Belvianes Marcel reprend une nouvelle alambiquée de Balzac, située en 1479. Après une introduction pianistique et un récitant qui résume la situation, le chœur chante un Gloria, en latin, car l’action se déroule dans une église. La partition tantôt modale, tantôt debussyste, voire ravélienne, suit tous les innombrables rebondissements et surtout l’humour du livret. A la fin, le héros de l’histoire se plaint au roi d’avoir été volé chez lui ; Louis XI, en personne, vient une nuit pour découvrir le coupable et sa cachette … Maître Cornelius, lui-même, somnambule ! Apprenant la vérité, ce dernier va en perdre la raison, ce qui donne à Yvonne Desportes l’occasion de terminer par une parodie de la scène de la folie de Boris Godounov.

Comment rendre compte de la foison des autres créations, si différentes les unes des autres ?

Ici, la multiplicité des instruments hétéroclites, souvent associée à des titres jeux de mots, surprend : La lutte des Lutins avec des Luths contre l’UT pour 4 luths marocains, Maroquinerie pour 2 luths marocains (1984), Du vent dans les tuyaux pour bombarde et orgue (opus 541), Des Dièses et des Bémols Bombardent les cordes pour bombarde, basson et orchestre à cordes (1990), Les Galoupettes du Tambourinaire avec un galoubet, la Chevauchée des Quintuplets pour cor de basset ( !), 4 clarinettes, saxophone, ou encore Tim-Xy-Tam dont l’intitulé reprend les familles instrumentales utilisées soit 4 timbales, xylophone, caisse claire avec accompagnement de piano.

Là, le non-conformisme réside dans l’emploi de nouveaux instruments, tel l’accordéon à deux claviers chromatiques, lequel va permettre, écrit la compositrice, « une polyphonie subtile et une harmonie extra-tonale » ce qu’elle tente de prouver dans Chanson baladée, morceau imposé, en 1972, au concours de l’Union pour la promotion de l’Accordéon de Concert. Cette déclaration ne l’empêchera pas d’écrire, en 1981, pour un quatuor d’accordéons « expressifs » munit cette fois d’un seul clavier ! Comble de l’originalité, voici des pages - dont Le Forgeur de merveilles, opéra en 4 actes commande de l’État - avec « la Bronté », instrument créé par Vincent Gemignani, fils de Yvonne Desportes, dont il est l’unique exécutant. Mais, derrière cette profusion d’excentricités se cache, toujours, une écriture soignée, classique, et surtout adaptée à l’instrumentation. Par exemples, Les Feux ardents de la Saint-Jean (opus 231), enregistré, en 1986, pour quatre accordéons expressifs, est divisé en trois courts morceaux, un thème cyclique parcourt les deux premières parties, il subit les transformations de la musique classique, une couleur modale traverse toute la partition pourtant d’écriture disparate ; de même, cette ambiance médiévale associée à la modernité se retrouve dans l’audition des disques compacts pour 4 ou 5 sonneurs de cloches qui présentent La Complainte de Quasimodo.

Ailleurs, ce qui retient l’attention, ce sont les hommages aux musiciens du passé et au détournement de leur style. Play Bach dances, Guitare mozartienne, Mozartiana ne nécessitent pas d’explications. En revanche, Variation sur le nom de Beethoven pour orchestre (1974) mérite un commentaire car, non seulement chaque lettre du nom et prénom de l’auteur est transcrite par une note (avec d’énormes intervalles musicaux entre chacune), mais on perçoit des allusions à sa 5e symphonie, au milieu d’une mélodie toute personnelle. Le summum de la parodie est peut-être atteint avec ces Pièces pour tous les goûts et dans tous les styles pour trombones car chaque pièce fait référence à une musique depuis celle d’Adam de la Halle jusqu’au jazz, en passant par Robert Schumann, Fauré et le dodécaphonisme. Même démarche dans cet Hommage à Maurice Emmanuel (1972) où, sur la partition il est possible de voir un dessin humoristique d’Yvonne Desportes, caricature des élèves assis au Conservatoire devant leur professeur, mais dont le sérieux objectif est un « hommage depuis la Grèce antique jusqu’à la pop’music, sur un seul thème. »

Mais, ces dernières pages, ne serviraient-elles pas de démonstration à des ouvrages pédagogiques ? Son Manuel pratique pour l’approche des styles si bien conçu pour les étudiants qui peuvent comparer cadences, harmonie usuelle, modulations, accords préférés de chaque compositeur, son Traité d’harmonie celui de contrepoint ainsi que celui de fugue, ses Chorals à l’usage des élèves d’écriture, son Initiation au langage musical… seraient alors une initiation à la pensée classique pouvant être intégrée ou aboutir au modernisme dans des compositions actuelles. Dans son livre Portraits de trente musiciens français, Paris, 1949, Armand Machabey découvre une conception harmonique « complexe, du degré de Ravel et, bien que l’auteur s’en défende, parfois de Strawinski », il précise : « Yvonne Desportes s’astreint à ne pas écrire après avoir entendu de la musique, et à laisser l’impression s’en effacer avant de reprendre la plume. Cette précaution lui vaut une formule personnelle, souple et active, à tendance mélodique, mais bien rythmée et adaptée à une construction méthodiquement préméditée, claire et solide. »

Malheureusement, vu la rareté ou l’absence d’éléments sonores, comme des publications de ses œuvres majeures – telle sa Messe en latin opus 511 - il devient impossible, à l’heure actuelle, de juger de l’évolution esthétique de la compositrice, dont la production s’arrête l’année de sa mort, 1993.

Pourtant, de son vivant, elle a bénéficié de très nombreux concerts et plusieurs compositeurs, parfois célèbres, ou éditorialistes masculins ont donné leurs impressions. L’un des premiers, Florent Schmitt, après avoir assisté à une manifestation musicale organisée à l’instigation de Paul Landowski, à l’Ecole des Beaux-Arts, proclame, dans Le Temps du 12 décembre 1936 :
Quant à Mlle Yvonne Desportes, coupable elle aussi de menues romances à destination d’auditoires au rabais, il lui sera beaucoup pardonné. Avec son ballet de Trifaldin elle a réalisé une œuvre qui n’est pas très loin du petit chef-d'œuvre, soit dit sans l’offenser, et dont j’aurai sûrement un jour d’entre les jours, l’occasion de vous dire tout au long les qualités : c’est probablement ce que, ce soir-là, nous aurons entendu de plus original, d’une originalité jaillissante et qui ne violente pas les moyens. La danse du Bossu, entre autres, la danse du Quadrige, du Charmeur de serpents, sont autant d’images curieusement colorées. Et le Pantin de bois avec ses sonorités grêles bizarres, ses claquements de xylophones, m’apparut comme une précieuse trouvaille.

Car Yvonne Desportes n’a pas produit que des œuvres légères, témoin sa Grande fugue triple (1968), ou Cinq Fugues de style pour quatuor à cordes (1986), ses symphonies (dont la troisième « L’Eternel féminin »), ses sept Messes (comprenant une de Requiem) et des Concertos. Parmi ces derniers, Le Tambourinaire pour orchestre et percussion, donné avec succès en 1965, dans lequel la virtuosité d’écriture ne fait pas de doute, et celui, si bien conçu, pour trompette où l’humour et la sensibilité « expressivo molto » se côtoient. Voici bien le nœud du problème. Yvonne Desportes, selon la définition d’un de ses proches, « était sérieuse mais ne se prenait pas au sérieux » aussi composera-t-elle deux opéras, mais quatre opérettes dont certains intitulés font sourire : La Farce du Carabinier, La Chanson de Mimi Pinson, La Vamp du Bikini-Palace.

L’une des partitions qui résume, peut-être, cette mosaïque - mélange de grande science et d’humour, si rare en musique française - réside dans Sept Poèmes abstraits pour chœurs mixtes et percussion (1959), partition imprimée illustrée d’un dessin à chaque feuillet, dont les textes se bornent à pléthores d’onomatopées, mais pour des intentions fort différentes les unes des autres : dans « Jazz » quatre solistes et le chœur doivent imiter « des trompettes wonawona », passons sur « Le buveur de vodka », pour trouver l’inattendue « Pavane pour un timbalier défunt : A Félix Passerone in memoriam » qui précède une page pour tambour militaire ou caisse claire accompagnant les chanteurs contraints à une performance de diction « tataralatatarasa… tiguidiguiditatalota… » le tout ponctué par l’interjection donnée au sous-titre … Scrogneugneu !

Œuvres principales enregistrées (en dépôt à l’INA) : Maître Cornelius, Concerto pour piano percussion et orchestre, 2ème concerto pour percussion et orchestre « le Tambourinaire », Concerto pour dixtuor, percussions et quatuor vocal, Première symphonie, Le Forgeur de merveilles, Octuor pour quatuor vocal et quatuor à cordes, Messe de Requiem, Quintette en la pour quatuor à cordes et piano.

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